Depuis quelques temps déjà, sur le mémorial virtuel des soldats du département de l'Indre, je complète les fiches déjà existantes en m’appuyant sur les fiches matricules. Je rajoute alors les données concernant les parents ainsi que le lien avec la fiche matricule. Cela prend beaucoup de temps car je relis entièrement à chaque fois la fiche complète pour m’imprégner du parcours des soldats. Rien ne presse, mais je n’en suis cependant qu’aux patronymes en Big…

De temps en temps, de fidèles correspondants du blog Indre1418soldats m’envoient des informations complémentaires. Laurent Roy est de ceux-là. Il me transmet des renseignements très complets et le texte ci-dessous est quasiment le fruit de ses recherches. Je reprends donc les données transmises et vous livre le triste sort de Arthur Réty de Veuil et natif de Luçay-le-Mâle.

Retrouver une fiche issue du site « Mémoires des Hommes », un nom gravé sur un monument ou inscrit sur un livre d’or ne suffisent pas pour donner consistance aux combattants d’alors. Il y a peu, concernant Arthur Réty, je ne possédais que ces 3 éléments et il n’était qu’un nom dans une base de données et une page sur le blog départemental des Morts Indriens sur Indre1418soldats.

http://indre1418soldats.canalblog.com/archives/2016/11/27/34512053.html

Avant d’entrer dans le détail du parcours, présentons tout d’abord Arthur Réty. Ce dernier est né le 2 avril 1882 à Luçay-le-Mâle et est fils de Jean-Baptiste et de Eulalie BERTON. Au moment de sa conscription il est dispensé (2e liste) comme ayant un frère au service. Il est incorporé au 90e RI en 1903 et est libéré en 1904. En 1908 et 1911, il effectue 2 périodes d’instruction au 90e RI.

Rappelé dans le cadre de la mobilisation générale, il est attendu le 11 aout 1914 et part aux armées le 25 septembre 1914. Entretemps, il est resté au dépôt de Châteauroux. De là, il suit le parcours du régiment de Châteauroux jusqu’à la date du 5 juin 1915 que la fiche matricule indique comme étant le jour de la blessure de Arthur Réty (éclat d’obus cuisse gauche) et son évacuation.

Un point est à signaler. La date du 5 juin ne correspond pas au journal de marche de l’unité. Le 90e RI ne monte en ligne au carrefour des Cinq Chemins que quelques jours plus tard, dans la nuit du 7 au 8 juin 1915

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Journal de marche du 90eRI -SHD

Réty semble plutôt faire parti des 3 blessés signalés en bilan des journées des 7 et 8 juin.

Le secteur du carrefour des Cinq Chemins est un secteur très dangereux pour les troupes. Au-devant du Bois de la Folie, au Nord de Neuville Saint Vaast, en juin 1915, il verra se succéder les régiments et les tentatives de percement des lignes ennemies et ce de manière infructueuse et mortifère pour les unités dont le 90e RI. Là, le 13 juin le régiment fit une attaque principale qui tourna très rapidement au désastre ainsi que pour son voisin le 68e RI. On y vit d’ailleurs la blessure du futur Général d’Armée Marcel Carpentier.

http://indre1418.canalblog.com/archives/2005/06/02/543220.html

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SHD 26N1288 - JMO 6eRG

Revenons maintenant à Arthur Réty, en suivant les indications de la fiche matricule. Ce dernier est donc évacué et est déclaré « aux hôpitaux du 18 juin au 3 octobre 1915. Il a donc transité de poste de secours en ambulances, d’ambulance en hôpital pendant environ une dizaine de jours. Rien n’indique son parcours hospitalier. Une demande le concernant au Service des archives médicales et hospitalières de l'armée (SAMHA) basé à Limoges permettrait éventuellement de suivre son dossier médical s’il a été conservé.

Un premier vide dans le parcours nous interpelle. La trace suivante est datée du 14 janvier 1916 où il est signalé à l’hôpital de Tours pour « Psychose hallucinatoire ».
A partir de là, le parcours chaotique s’enchaine. Il est déclaré comme « déserteur à l’intérieur » le 16 janvier et signalé « sorti par évasion » le 17 janvier 1916. Nous perdons ensuite sa trace jusqu’en novembre 1916 où la fiche matricule indique qu’il est décédé le 27 novembre 1916 à La Possonnière (49) et que le cadavre a été trouvé en Loire.
Là, il faut s’intéresser à la transcription du décès que l’on trouve à Veuil dans les registres d’état-civil :

Le vingt-sept novembre 1916, deux heures du soir, nous avons constaté le décès d'un individu de sexe masculin, dont la mort paraît remonter à 3 mois environ. D'après les renseignements fournis par l'autorité militaire, le corps est celui de Arthur Réty, classe 1902, matricule 1761, affecté au 90 RI à Châteauroux, né le 02/04/1882 à Luçay-le-Mâle, fils de Jean-Baptiste Réty et de Eulalie Berton, époux de Mélanie Rabier, domicilié à Veuil. Dressé sur la déclaration de Henri Pouzin, gendarme, 56 ans, et de Julien Lebrun, gendarme auxiliaire, 43 ans, en résidence à la Possonière.

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Cliché Laurent Roy - Etat-civil Mairie Veuil

Cela est à mettre en parallèle avec la fiche Mémoires des Hommes, il en ressort que la transcription (officielle) n’a pas pu servir pour la rédaction de la fiche MDH, le genre de mort reporté sur la fiche Mémoires des Hommes (blessures de guerre) et le classement de la fiche dans la catégorie « Mort pour la France » n’ont pas de cohérence avec la transcription de décès à la mairie de Veuil. La mention Mort pour la France ne figure nulle part sur l’acte de décès. On notera aussi que Arthur Réty figure sur le Livre d’Or de Luçay le Mâle, mais on se souviendra que la source originelle est la même pour établir le livre d’or et les fiches Mémoires des Hommes. Il figure donc sur le LO de Luçay, sa commune de naissance, car le scripteur de la fiche MDH ne connaissait pas le lieu de domiciliation du défunt (Veuil), il prit alors le lieu de naissance (Veuil est clairement indiqué sur l’acte de décès comme domicile)

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SHD - mémoires des Hommes

Un fait m’a interpellé concernant la rédaction de la fiche Mémoires des Hommes, mais je n’ai pu trouver confirmation. En bas de chaque fiche, une série de chiffre est reportée, le dernier chiffre ne serait-il pas la date du modèle de la fiche utilisée. Cela induirait que le modèle de la fiche serait de 1927 et que la rédaction en serait donc à minima de cette année 1927, ceq qui semble très tardif, pour un décès transcris dès 1916. En fouinant sur Mémoires des Hommes, on s’aperçoit que les fiches sont globalement de 1921-1922, cela qui normal et correspond à la mise en place du fichier. (Cette hypothèse reste cependant à vérifier).

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SHD - mémoires des Hommes

Quant à la réelle cause du décès, on ne saura s'il est tombé dans la Loire volontairement ou non sous le coup d’un délire psychotique par exemple.

Sur la fiche matricule, un secours immédiat de 150 francs est reporté et attribué à son épouse Mélanie Rabier. Cela confirme la mention marginale de la transcription d’état-civil ci-dessus, indiquant qu’il est époux de Mélanie Rabier. Une rapide recherche permet d’apprendre qu’ils se sont mariés le 22 septembre 1906 à Veuil (36).

Une autre source à exploiter concernant une telle recherche est celle de la presse locale. Il y a effectivement de fortes chances que la presse angevine reporte un tel fait, peu ordinaire. Après un appel à l’aide, une amie, Sylvie Bossy-Guérin, spécialiste du secteur de Cholet et des archives angevines, me fit le plaisir de me retrouver 2 articles du journal local « Le Petit Courrier », journal local du secteur d’Angers.

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Le Petit Courier, 29 et 30 novembre 1916

Découvert le 27 novembre, le corps est rapidement identifié grâce à son bracelet matricule. L’info fut transmise à l’autorité militaire qui à partir de ce matricule put à coup-sur identifier le corps repêché, il n'y a quà contacter la 9ème Section d'Etat-Major qui gère les matricules de la 9ème Région Militaire. Le journaliste, le 29 novembre était alors en mesure de signaler le fait et d’indiquer l’unité à partir des informations que l’autorité militaire voulut bien lui transmettre.

Je retiendrai deux informations issues des 2 articles que je vous laisse juge d’analyser :

 « Ce noyé a certainement par suite de la crue, été trainé sur une assez longue distance. » Le journaliste reportant ce que l’autorité a accepté de lui transmettre comme informations, ne se doute certainement pas que Arthur s’était évadé de l’hôpital de Tours à quelques 140 km de là. Rien ne dit évidemment que Arthur Réty s’est noyé dans la Loire à Tours, il s’agit là d’une distance pour donner un ordre d’idée. De plus, alors que la transcription d’état-civil indique que « la mort paraît remonter à 3 mois environ », le journaliste reporte un séjour dans l’eau de six mois. Ceci n’est pas sans poser question sachant que l’évasion date de janvier, soit 11 mois plus tôt. On notera que dans le doute, la date de décè retenue est celle de la découverte.

Nul ne saura quel chemin de misère aura suivi ce soldat du département bien loin de l’image donnée par les premiers documents d’archives consultés. Cela conforte notre démarche de recherche du maximum de sources et de la démarche qui consiste à ne pas se contenter de la première donnée trouvée. Bien qu’officielle, elle peut se montrer globalement fausse.

Un très grand merci à Laurent Roy qui au travers de ces trouvailles m’a permis de fouiller dans les archives disponibles et de débusquer les amorces d’une nouvelle vision du parcours de Arthur Réty.
Un très grand merci pour Sylvie Bossy-Guérin pour son aide concernant les archives angevines.

Que Arthur Réty repose en paix. A Veuil, on se souvient de lui sur le Monument

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cliché Alain Bréjaud